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22 mars 2025

Marie Sizun, La Gouvernante suédoise

"Il y a des histoires étranges dans les familles. Des secrets, des choses inavouables, inavouées, quelquefois terribles, sur lesquelles les adultes se taisent, comme si le silence pouvait étouffer la réalité, et, qui sait, la faire disparaître .

On accompagne l’auteur en Suède, dans le quotidien bourgeois d’une famille du 19e siècle. Hulda, 17 ans, fraîchement sortie du couvent, s’éprend de Léonard, son voisin professeur de français, de plusieurs années son aîné. Bientôt enceinte, elle devient son épouse, malgré les réticences de son entourage. Si les premières années du couple se déroulent sans encombre, Hulda n’a pas la carrure pour diriger une maison et élever les quatre enfants qu’elle a mis au monde.

C’est alors que Livia entre au service de la famille. Froide, distante, mais professionnelle, la jeune gouvernante remet de l’ordre dans le quotidien parti à vau l’eau et redonne confiance à la douce et languissante mère, lui apportant également secours lorsque - conséquence d’un revers de fortune - tous doivent s’expatrier à Meudon. Seul ombre au tableau : c’est aussi dans les bras de Livia que Léonard trouve réconfort, se consolant de ses déboires professionnels et d’une relation de couple qui s’étiole…

Dans un style ciselé et littéraire, Marie Sizun suggère, plus qu’elle ne décrit, les émotions multiples et diffuses de deux femmes éprises, en toute conscience, d’un même homme. Un triangle amoureux révélateur de la complexité des sentiments et reflet d’une société féminine bourgeoise résignée, prisonnière des carcans et non-dits.
Des confortables salons suédois à la froideur des murs meudonnais, l’auteur excelle à dépeindre l’atmosphère de lieux qui s’imprègnent des émotions mêlées des personnages et en exhalent la subtilité et le tragique. Un roman digne d’un classique de par son style et sa teneur.

Marie Sizun, La Gouvernante suédoise, Folio, 2018.

Harriet Tyce, Blood Orange

"La pelure de l'orange, la peau blanche, la chair saignante, rouge ; une vraie palette de coucher de soleil".

Alison Wood est avocate pénaliste. À mesure que sa carrière décolle, sa vie familiale se dégrade : elle passe ses journées à plaider et ses soirées dans les bars pour décompresser. Patrick, un collègue avec qui elle entretient une liaison toxique, souffle le chaud et le froid et l’humilie tout autant qu’il se sert d’elle. Pourtant, Alison n’arrive pas à décrocher.
Quand Patrick lui confie sa première affaire de meurtre, elle se plonge dans l’histoire de sa cliente, Madeleine, qui a poignardé son conjoint d’une quinzaine de coups de couteau. Au fil de leurs entretiens, Madeleine se livre : son mari diluait la pilule contraceptive dans son thé, examinait toutes ses dépenses, prenait toutes les décisions…
Petit à petit, leurs deux vies se font écho. Qui contrôle qui ? Et si, avant de défendre les autres, Alison commençait par se défendre elle-même (quatrième de couverture) ?

Alison entretient une liaison tumultueuse et humiliante avec son collègue et hiérarchique. Une addiction mêlée d’une culpabilité délirante qui aveuglent la jeune femme au point de l’empêcher d’identifier la cause véritable du délitement de sa vie familiale.
N’est pas toujours fautif celui qu’on croit. Retors et sulfureux, un thriller qui aborde avec un cynisme jubilatoire le pouvoir destructeur du pervers narcissique.

Harriet Tyce, Blood Orange, Robert Laffont, 2019.

09 mars 2025

Joseph Incardona, Les Corps solides

"C'est l'humanité qui finirait dans un alambic duquel il ressortirait l'essence de ce que nous sommes devenus : le jus incolore d'un grand jeu télévisé.".

Il en faut peu pour rendre Anna et son fils Léo passablement heureux : un mobile-home, une planche de surf, un peu de cannabis et une bonne dose de liberté partagée. Surviennent un accident et la perte du camion-rôtissoire qui permettait au duo de subvenir à ses besoins. Un élément déclencheur d'une série d'ennuis et de dettes en cascade.
Pour trouver de l'argent, nerf de la guerre qu'elle a entamée, Anna accepte alors, non sans honte, de participer à un jeu de téléréalité absurde dont l'unique règle consiste à ne plus lâcher la voiture sur laquelle elle aura posé la main...

Joseph Incardona perturbe l'équilibre précaire d'une famille monoparentale pour dénoncer marginalisation sociale, téléréalité dégradante et absence de scrupules des grandes entreprises nationales et du gouvernement tout-puissants. Un roman divertissant qui frôle seulement l'engagement : si le propos est cynique, la réflexion reste souvent superficielle voire inachevée et l'on pourra aussi regretter l'happy end d'une histoire de tendresse filiale néanmoins touchante.

La lecture vaudra donc davantage pour son incursion réussie dans "Le Jeu" qui, en une mise en abyme subtile, place le lecteur dans la même position de voyeurisme et d'attente fébrile que les (télé)spectateurs. Dérangeant et captivant à la fois.

Joseph Incardona, Les Corps solides, Pocket, 2023.


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