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27 avril 2025

Isabelle Aupy, L’homme qui n’aimait plus les chats


"Les esprits s'embrouillent facilement. C'est ce qui arrive quand on appelle un chien un chat. On embrouille tout, on change les idées des gens, on les empêche de savoir ce qu'ils aiment ou ce qu'ils pensent".

Une île. Sur laquelle vivent en bonne intelligence quelques habitants, vaguement marginaux, et des chats, à foison, qui y errent comme bon leur semble. Un jour, à la consternation de tous, ces derniers disparaissent. Bientôt remplacés, sur décision de l’administration du continent, par des félins d’une toute autre espèce...

Ce bref récit d’apparence anodine se révèle une véritable fable philosophique. A la fois, mise en garde contre les dérives du langage, les croyances fallacieuses et la manipulation mentale. Et derrière l’absurde et la métaphore filée, une ode à la liberté d’être, de penser, de choisir. Percutant !


Isabelle Aupy, L’homme qui n’aimait plus les chats, Folio, 2023.

Joseph Incardona, Stella et l’Amérique

"La seule façon qu’elle avait trouvée de n’appartenir à personne était de se donner à tout le monde".

Elle n'est ni la plus belle ni la plus futée, Stella. Mais elle est loyale. Et surtout c'est une sainte, une vraie, une qui fait des miracles. Il n'y a qu'à voir ceux qui ressortent de sa caravane. Les aveugles ? Rendus à la vue ! Les paralytiques ? Redressés pour de bon. Un " don " charnel de guérison qui fait trembler jusqu'au Vatican, où l'on préfère les saintes vierges, pas celles qui monnayent leurs charmes.
Dépêchés en Amérique, deux tueurs à gages se lancent aux trousses de la prostituée, bien décidés à la jeter en martyre aux coyotes... Quitte à se frotter à quelques anges gardiens, pas avares sur la multiplication des pains (quatrième de couverture)

Stella et l’Amérique ou l’histoire d’une prostituée thaumaturge, embarquée par le père James Brown dans un road trip qu’il espère salvateur.
C’est déjanté, irrévérencieux et jubilatoire ! Du grand Incardona !

Joseph Incardona, Stella et l’Amérique, Pocket, 2025.

26 avril 2025

Constance de Salm, Vingt-quatre Heures d'une femme sensible

"Il serait horrible de vous accuser de ce que j'entrevois, si vous en êtes innocent. Je recueille mes forces ; je retiens mes esprits prêts à s'égarer. Je cherche à voir ce que je dois croire, faire, penser. Je suis de sang-froid ; j'ai le sang-froid du désespoir".

Parce qu'elle a vu son amant quitter l'opéra au bras d'une autre, une jeune veuve s'imagine être trompée. Au cours des vingt-quatre heures qui suivent cette découverte, cette femme sensible et jalouse va écrire quarante-quatre lettres à l'homme aimé, témoignage de la vague d'émotions confuses qui la submerge.

Ce superbe roman épistolaire déroule une analyse psychologique subtile, rédigée dans un style raffiné. On y suit avec intérêt les souffrances d'une femme tragiquement amoureuse, ressassant le souvenir d'un bonheur qu'elle croit perdu et s'abîmant progressivement dans le doute et le désespoir.
Sublime. Tragique. Plein d'espoir aussi.

Constance de Salm, Vingt-quatre Heures d'une femme sensible [1824], Libretto, 2015.


07 avril 2025

Jardine Libaire, La Fourrure Blanche

"On traverse la vie en se disant que celle-ci recèle un secret. Et ce secret, c’est qu’il n’y en a pas".

La Fourrure blanche est le récit d’un amour impossible mais vrai, entre un fils de milliardaire et une fille de junkies. Alors que tout les oppose : origine, caste, famille, argent, culture et même leurs propres préjugés, Elise et Jamey s’aiment (différemment) et se le prouvent. Jusque dans la maladie, jusque dans la mort, jusque dans les plus improbables extrémités.

Jardine Libaire relève le défi de s'emparer d'un thème des plus ordinaires en littérature – un amour contrarié par les barrières sociales et triomphant (ou presque) – et d'en proposer une déclinaison moderne, au fil d'une plume imaginative, dure, sensuelle, crue. de celles qui traduisent les passions endiablées, les attachements torturés, mais aussi le respect de l'autre dans sa différence.

Jardine Libaire, La Fourrure Blanche, Presses de la cité, 2018.

Armel Job, La cuisinière du Kaiser

"Non, mon fils restera une victime sans tache, les mains pures, sans vengeance. Il sera un reproche muet pour ceux qui ont provoqué sa mort".

Magda et Victor forment un couple en apparence sans histoire : leur Grand Hôtel des Ardennes est une affaire florissante et ils sont les parents d’une belle famille de huit enfants.
C’est sans compter la guerre et la violence de l’occupant. Le 22 août 1914, Guillaume, un de leurs garçons, est lâchement abattu par un officier allemand.
Dès cet instant, Magda n’aura de cesse de vouloir rendre justice à ce fils tant aimé.
À tout prix. Y compris le démantèlement de sa famille.

C’est ce douloureux combat, solitaire et acharné mais terriblement digne, qu’Armel Job nous donne à lire dans un roman touchant et dans lequel j’ai eu le plaisir renouvelé d’être emportée par son grand talent de conteur.
Une belle réflexion sur les liens familiaux et l’impossible résilience.

Armel Job, La cuisinière du KaiserRobert Laffont, 2025.

Armel Job, Une drôle de fille

"L'ennui, c'est que la fin de l'amitié chez les filles n'est pas le retour de l'indifférence, mais le début de la haine.".

Quoi de plus paisible que la Maison Borj, cette boulangerie d'une petite ville de province belge à la fin des années 1950 ? Un ménage sans histoire, deux adolescents charmants, un commerce florissant : les Borj ont tout pour être heureux. Avec générosité, ils acceptent de prendre Josée, une orpheline de guerre, en apprentissage. Josée est une drôle de fille. Épileptique, pratiquement illettrée, la jeune fille a cependant un don émouvant pour le chant qui, après une messe de minuit retransmise à la radio, lui vaut une invitation au palais royal. Attisée par les rumeurs et la réprobation venues de l'extérieur, cette invitation va faire exploser l'harmonie des Borj, tiraillés entre le démon de midi du père, les ressentiments de la mère, la jalousie de la fille. Josée devient l'élément catalyseur de leur ruine. Bien malgré elle, comme dans une cure psychanalytique, elle fait resurgir les secrets enfouis, plongeant la famille dans une agitation à laquelle ses crises d'épilepsie font écho. En quelques semaines, la maison Borj va s'effondrer comme un château de cartes, son bonheur apparent, bâti sur des fondements bien fragiles, voler en éclat. Car si, chacun à leur manière, les personnages sont d'abord mus par de bonnes intentions, ils sont rattrapés par leur égoïsme et leur lâcheté. Et, comme souvent, ce sont les innocents qui en font les frais (quatrième de couverture).

Belgique, fin des années 1950. Lorsque les Borj accueillent avec générosité au sein de leur boulangerie une jeune apprentie, ils sont loin de se douter que Josée, orpheline de guerre et tellement insignifiante à leurs yeux, mènera inexorablement la famille à sa perte.
Armel Job déjoue, d’une plume patiente et tenace, l’imposture qui se cache derrière les prétendus bons sentiments. Une séduisante leçon de clairvoyance.

Armel Job, Une drôle de fille, Robert Laffont, 2019.

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